One shot…

C’était le début novembre, peut-être fin octobre. Le jour se pointait, lentement, une lueur grisâtre laissait entrevoir la silhouette noire des grands cèdres du parc. Un voile de brume épaisse recouvrait ce paysage connu, mais on ne distinguait qu’à grande peine ce qui le constituait. Dans cette aube humide, glaciale, les contours du château disparaissaient au gré des variations de densité de la brume. Même les sons habituels étaient absorbés par ce manteau nuageux et se perdaient dans l’espace. Les distances s’évanouissaient autant que les perspectives s’abolissaient.

La lumière elle-même semblait pouvoir s’effondrer à chaque instant, et l’univers s’abîmer dans un silence définitif. Pourquoi ai-je pensé à cet instant aux peintures de Pascal Rémita ? Parce que l’atmosphère était vide de toute âme ? Parce que les repères s’effaçaient, rendant l’horizon invisible et la masse du château imperceptible ? Parce que dans cette lumière pas encore blanche mais déjà voilée, une inquiétante immobilité engourdissait la perception ?

Sans doute est-ce tout cela qui me semblait soudainement posséder quelque chose à voir avec la peinture de Pascale Rémita. Ce jour-là, la lumière ne s’est pas affirmée, le château est resté noyé dans cette lumière blafarde mais l’envie d’exposer ces œuvres s’est solidifiée. C’est pourquoi je l’ai appelé et je lui ai proposé à brûle-pourpoint de monter une exposition one shot*, en ce que m’apparaissait clairement la parfaite coïncidence du lieu, de l’espace et du temps. Et que cette conjonction pouvait fonder un choix où il serait question de peintures, d’images et de certaines préoccupations contemporaines. C’était risqué. Elle a accepté et a saisi l’intensité du projet.

Ses peintures décrivent des mondes déserts, abrupts. Elles dressent une cartographie spectrales de territoires dangereux, elles évoquent des architectures de survie, ou des constructions mystérieuses aux confins du monde habité, entre ruines et bunkers. Elles montrent des montagnes infranchissables, pièges de conquêtes parfois mortelles, mais distillant une irrépressible fascination. Elles désignent des étendues figées, ou des surfaces fixées par le gel. Ses tableaux, comme ses images, sont retenus, froids, sans effets de matière mais aux multiples nuances impalpables.

On sait que les Inuit disposent d’un vocabulaire de près de 200 mots pour décrire les infinies variations de la couleur de la neige et de la glace. C’est dans sa faculté à déposer sur la toile ces nuances que Pascale Rémita parvient à arrêter le regard, car loin de grande démonstration, ses tableaux exposent une économie de texture qui rend leur présence d’autant plus forte. A les regarder de près, les traitements des couleurs, au-delà de la dextérité, révèlent une rare capacité à transposer sur la toile le monde qu’ils évoquent, un monde binaire, liquide/solide, horizontal/vertical, plat/dressé, brillant/sobre, silencieux/vibrant, un monde menaçant et attirant à la fois.

Dans le parcours de l’exposition, un récit s’esquisse, où les vidéos, les captures d’images, les photographies satellitaires donnent à voir, à percevoir un monde aux résonances technologiques dans lequel la peinture se fonde et construit sa propre histoire. Il n’y a rien d’évident à peindre ce monde, mais la force du travail de Pascal Rémita repose aussi dans sa maîtrise de la matière. Et comme d’autres peintres restés à ce jour inconnus qui ont su raconter les grands moments de la guerre de Troie, dans la galerie Renaissance, Pascale Rémita sait montrer – et dire – dans sa peinture le monde désincarné dans lequel nous évoluons.

Ses métaphores picturales – que traduisent si bien les regards masqués de ses Observateurs côtoyant les Corps en morceaux, créés par Daniel Spoerri – décrivent avec une rare acuité et une froide lucidité un monde d’où sourd une peur imminente, mais aussi un monde où la déchirure du voile laissera percer une autre vision lumineuse.

Ce jour-là donc, la lumière diurne ne s’est pas pleinement faite, mais Pascale Rémita a relevé le défi. Je l’en remercie, car ses œuvres apportent aujourd’hui dans les espaces froids du château ces éclats de sensibilité et de pertinence que seul l’art peu offrir.

Paul-Hervé Parsy, 26 décembre 2012

NOTE
* Expression signifiant littéralement que l’on a une seule chance